Menu
Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Travail et avantages salariaux > Le côté obscur du "bonheur au travail"

Le côté obscur du "bonheur au travail"

Le côté obscur du
Le 02 octobre 2018
Le monde du travail a souvent connu des évolutions, et la création de nouveaux postes tels que celui de « Chief Happiness Officer » ou « Directeur général du Bonheur » peut porter à confusion quant à l’état de santé de notre société …

L’origine du bonheur au travail

Le travail venant étymologiquement, pour certain, du latin « tripalium », c’est-à-dire torture, il peut paraître ironique d’associer le terme « travail » et le terme « bonheur ». Il convient cependant de se rappeler qu’à l’origine, le travail, d’un point de vue religieux, servait notamment à expier le péché originel.

Cependant, la société étant en évolution constante et le côté religieux du travail ayant disparu, la notion même du travail est passée d’un travail ayant une valeur expiatrice à un travail devant permettre un épanouissement tant professionnel que personnel.

Le courant marxiste a d’ailleurs développé deux idées du travail : un travail « capitaliste » visant à augmenter la rentabilité du travail au détriment de l’épanouissement du salarié et un travail « positif » visant pour le salarié à s’épanouir dans un travail qui serait utile et où le superflu n’aurait pas sa place.

Dans ce courant de pensée, le travail doit nécessairement avoir un sens, et ce n’est pas Voltaire qui le contredirait. En effet, selon lui : « le travail éloigne de nous trois grands mots : l’ennui, le besoin et le vice ».

Ce mode de pensée positive du travail a permis une évolution du travail dans notre société actuelle.


Dès lors, certains métiers ont pu voir le jour, tels que celui de « directeur général du bonheur » ou de « feel good manager ».

Mais quelle est l’utilité pour un employeur d’investir dans de telles fonctions ? La raison même de l’existence d’une entreprise étant de faire du bénéfice, investir dans le bien être des salariés ne serait-il pas une perte de temps et d’argent ?

Cet article aura pour objet de réfléchir sur la question de savoir si le bonheur en entreprise est une obligation légale de l’employeur, une réelle volonté de prendre soin de ses salariés ou juste une technique détournée visant à obtenir une meilleure productivité ?


L’obligation légale de l’employeur d’assurer la sécurité et de protéger la santé de ses salariés

L’article L4121-1 du Code du Travail pose le principe que l’employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. ».

A la lecture de cet article on peut difficilement faire le lien entre la santé mentale des salariés et leur bonheur en entreprise. Cependant, en y réfléchissant un peu, on peut assez facilement tracer un parallèle entre les deux.

En effet, un salarié malheureux est un salarié qui soit travaillera trop, soit travaillera a minima.

Dans les deux cas, cela peut lui poser un problème interne : s’il ressent le besoin de travailler plus, il pourra potentiellement atteindre une situation propice au « burn-out », c’est-à-dire d’épuisement professionnel. Dans le cas inverse, s’il ne ressent pas le besoin de s’investir, il pourra s’ennuyer et finir en situation de « bore-out », ce qui pourra avoir pour effet de le piéger dans une boucle où il n’aura pas envie de travailler plus et se sentira inutile. Il convient de noter que si le « bore-out » n’est absolument pas reconnu comme une maladie professionnelle, le « burn-out » en est une.

En effet, même s’il s’agit d’une pathologie psychique « hors tableau », l’Assurance Maladie peut reconnaître les symptômes de l’épuisement professionnel comme une maladie professionnelle sous certaines conditions :

- Le fait de pouvoir établir que la pathologie est essentiellement et directement liée avec le travail.

- La création d’une incapacité permanente partielle (IPP) égale ou supérieure à 25%.

Dès lors, on peut comprendre que certains employeurs n’hésitent pas à recruter des personnes spécialisées en développement du bonheur en entreprise afin de satisfaire à l’obligation légale de santé et sécurité.

De même, être victime de harcèlement ou de subir un stress démesuré au travail peut constituer une atteinte à l’article L4121-1 du Code du travail et engager la responsabilité pénale de l’employeur !

La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 juin 2001, a en effet pris une décision allant dans cette voie lors d’une affaire où une salariée, tant elle souffrait à son travail par une sensation d’harcèlement constant, n’a jamais su reprendre le travail après un arrêt maladie.

Elle s’est ainsi faite licenciée 3 ans après l’échec d’une médiation et un arrêt maladie pour « licenciement pour inaptitude sans possibilité de reclassement » déclarée par la médecine du travail.

Seulement, au cours du procès, bien que l’employeur ait donné un argumentaire détaillé et complet démontrant qu’il a pris les mesures nécessaires à la sauvegarde de la santé de la salarié, notamment en démontrant qu’une médiation a bien eu lieu, la Cour de cassation a estimé que « l’employeur n’a pas pris toutes les mesures utiles pour régler avec impartialité le conflit existant. »

Ainsi, cette décision montre que l’employeur doit TOUT mettre en œuvre pour le bien-être de leur salarié.

Si cette obligation de santé/sécurité de l’employeur est reconnue comme étant une obligation de moyen renforcé depuis l’arrêt du 25 novembre 2015, il faut quand même reconnaître que les juges ont tendance à la traiter comme une obligation de résultat, comme la loi le prévoit d’ailleurs.

Le bonheur en entreprise : Preuve d’empathie ou tentative de manipulation ?

Derrière la thématique du bonheur en entreprise se cache celle de la souffrance au travail.

En effet, dès lors que l’on ressent le besoin d’élaborer des dispositifs spécifiques pour accroître la sensation de bonheur au travail, on peut déduire que la souffrance au travail est telle que développer le bien-être au travail apparaît comme nécessaire.

Finalement, on pourrait rattacher cette situation à la critique du monde du travail fait par Aldous Huxley dans son ouvrage « Le Meilleur des Mondes » où la scène se passe dans un monde où « tout le monde est heureux » dans son travail. Seulement, l’envers du décor est un monde stérile et dénué de toute interaction sociales normale.

Un psychologue du travail, Adrien Chignard, s’oppose même fermement à l’appellation « bonheur au travail » en la désignant comme un « mensonge « ou un « marketing malin […] d’une tristesse infini ».  

Et cette critique du bonheur en entreprise vu comme un mensonge semble pouvoir se vérifier, du moins à l’étranger.

L’entreprise Foxconn, en Chine, propose un rituel du « bonheur » assez particulier à ses salariés.

En effet, chaque matin, les employés se réunissent pour chanter en cœurs « Nous sommes bon, très bons, très très bons » comme s’il s’agissait d’un grand moment de cohésion.

En soit, avoir un rituel matinal est très bénéfique pour le moral des troupes, si tant est qu’il n’est pas exécuté sur un lieu où les filets anti-suicides semblent indispensables dans les cages d’escaliers…

Ainsi, cette promesse du bonheur faite par les entreprises s’apparenterait à un marchandage du bonheur, une sorte de bien de consommation immédiate, afin d’améliorer la production.

Cependant, il ne faut pas uniquement voir le bonheur en entreprise sous cet aspect négatif, l’opinion inverse est tout à fait possible.

En effet, il serait injuste de ne retenir que les aspects négatifs d’une notion de bonheur au travail.

Pour certaines personnes, venir travailler est un moyen de s’épanouir tant professionnellement que personnellement.

De plus, favoriser le bien-être au travail permettrait de lutter contre la souffrance au travail qui aujourd’hui semble toucher une large proportion des actifs.

L’anxiété et le stress sont des maux fréquents en entreprise et le qu’un manager ou un chef d’entreprise prenne des initiatives en faveur du bien-être des salariés semble louable.

Sans rentrer dans un jeu de théorie du complot, il faut aussi prendre en compte que l’employeur est un être humain capable d’empathie et qu’il est aussi capable de veiller au bonheur de ses salariés, car cela peut être aussi pesant pour eux que pour lui de venir travailler dans une atmosphère tendue et anxiogène…

Et, en y réfléchissant bien, vaut-il mieux une politique managériale tyrannique ou une politique du bien-être ?

Il est rare qu’une personne à qui on propose des salles de repos, des activités de détentes ou autres avantages veuille mettre fin à ses jours, contrairement à un management favorisant la pression et le harcèlement.

Pour finir, quitte à travailler, autant choisir un travail que l’on aime et où les conditions de travail seront agréables, car comme dirait Confucius « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. ».

Bouhedjar Sammy,

L'équipe juridique Droit-Travail-France.