La promesse d’embauche ne vaut plus forcément contrat de travail, la rétraction est possible
Jusqu’à présent, la promesse d’embauche valait contrat. Par conséquent, rompre une promesse d’embauche sans motif légitime exposait l’employeur à verser des indemnités relatives à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La jurisprudence était constante depuis 2010, dès lors que la promesse d’embauche précisait l’emploi proposé ainsi que date d’entrée en fonction (Cass. Soc, 15 déc. 2010, n°08-42.951).
Or, par un arrêt n°16_20.104 publié en date du 21 septembre 2017, le Cour de Cassation est venue modifier ce principe. Dorénavant, la promesse d'embauche ne vaudra plus nécessairement contrat de travail mais simple invitation à négocier.
Les faits : un club de rugby revient sur la promesse d’embauche faite à un joueur.
Lorsqu’un international de rugby reçoit le 22 mars 2012, d’un club de rugby de Carcassonne, une proposition d’embauche à compter du 1er juillet 2012 pour les saisons 2012/2013 et 2013/2014 indiquant le salaire brut fixé pour chacun des deux saisons ainsi que la mise à disposition d’un logement et d’un véhicule, il s’estime très légitimement engagé par ledit Club.
Aussi, lorsqu’il reçoit en date du 6 juin 2012 un mail lui notifiant qu’au final, aucune suite n’était donnée aux contacts noués avec lui, il décide de ne pas en tenir compte et retourne au club la promesse d’embauche signée. Le Club ayant maintenu sa rétractation, le joueur a saisi le Conseil des Prud’hommes au titre de la rupture abusive du contrat de travail.
La Cour de Cassation revient sur une jurisprudence classique et estime que la promesse d’embauche ne valait pas contrat de travail.
La promesse d’embauche étant précise puisqu’elle indiquait la date de prise de fonction, le poste, la durée de l’engagement, la rémunération et les avantages en nature, la rétractation n’étant pas justifiée par un motif légitime… l’issue aurait du être certaine.
D’ailleurs, le Conseil des Prud’hommes comme la Cour d’Appel ont donné raison au joueur, estimant qu’il résultat des faits de l’espèce « qu’un contrat de travail avait été formé entre les parties et il importe peu que le club de rugby ait finalement renoncé à engager le joueur, même antérieurement à la signature du contrat par le joueur » puisque « la promesse d’embauche engage l’employeur même si le salarié n’a pas manifesté son accord ».
Mais voilà. Contre toutes attentes puisqu’encore une fois, la jurisprudence est constante depuis 2010, le Club de Rugby s’est pourvu en cassation. Et force est de constater qu’il a eu raison puisque la Cour de Cassation est revenue sur sa jurisprudence.
Pourquoi un tel revirement concernant la valeur de la promesse d’embauche ?
Le droit des obligations a été refondu par l’ordonnance du 10 février 2016. Le texte n’est certes pas applicable aux faits de l’espèce, mais la Cour de Cassation a malgré tout décidé d’en tenir compte afin d’ajuster sa jurisprudence sur la question de la promesse d’embauche.
Elle justifie par ailleurs ce changement de doctrine dans sa note explicative en rappelant que sa jurisprudence antérieure était très difficile à mettre en œuvre de manière pratique, ce dont les entreprises se plaignaient régulièrement. En effet, "l’application rigoureuse de la jurisprudence de la chambre sociale pouvait avoir pour effet d’assécher les possibilité de négociations pré-contractuelles, car un employeur qui s’avance trop, risque de se voir opposer la conclusion d’un contrat de travail, alors même que ce sont les précisions sur les dates d’entrée en fonction, l’emploi proposé ou la rémunération qui permettent aux parties de se déterminer et au salarié de conclure ou de préférer un autre employeur dont les offres lui paraîtraient plus avantageuses. En cas de négociations parallèles, le salarié peut être destinataire de plusieurs propositions répondant à la définition posée par l’arrêt du 15 décembre 2010. De plus, il y a un risque d’effet d’aubaine non-négligeable, le salarié pouvant réclamer des indemnités de rupture sur le seul fondement de la promesse d’embauche, alors même qu’il n’avait pas l’intention de s’engager ou qu’il préférait une autre proposition."
Beaucoup d’employeurs notamment dans les PME/PMI, TPE/TPI hésitaient donc à rédiger des promesses d’embauche, au grand dam des salariés qui, très légitimement, hésitaient donc à quitter leur précédent poste sans assurance…
En outre, complète la Haute Juridiction, sa doctrine antérieure « ne prenait pas en compte la manifestation du consentement du salarié pour s’attacher exclusivement au contenu de l’acte émanant de l’employeur. Ainsi, un acte unilatéral emportait les effets d’un contrat synallagmatique ».
Dans les faits, la Cour reproche donc aux juges du fond de ne pas avoir constaté que l’acte du 22 mars 2012 offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait donc que son consentement. Pour la Haute Juridiction, il s’agissait donc d’une « simple » offre de contrat de travail, et non pas d’une promesse unilatérale de contrat de travail…
Quelle est la valeur de la Promesse d’embauche aujourd’hui ?
La Cour distingue donc aujourd’hui deux cas :
Il y aura « simple » offre de contrat de travail lorsque l’employeur propose un engagement à un tiers en précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction, et en faisant clairement état de son intention d’être lié contractuellement en cas d’acceptation. Dans ce cas, l’employeur pourra rétracter son offre librement tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire, avant un délai fixé par lui ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable. En cas de contentieux, celui-ci relèvera du droit civil, l’employeur engageant éventuellement sa responsabilité extra-contractuelle.
Il y aura promesse unilatérale de contrat de contrat de travail lorsque l’employeur adressera à un tiers un document lui donnant le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail dont les missions, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminées et pour le consentement duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. Dans ce cas, l’employeur ne pourra pas se rétracter sauf motif légitime, et le document vaudra contrat de travail.
Dans les faits, cela change quoi dans la rédaction de la promesse d’embauche ?
Dans les faits, les promesses d’embauche sont en général libellées sur le modèle suivant : « nous avons le plaisir de vous proposer le poste suivant, … ». Selon la nouvelle jurisprudence de la Cour de Cassation, cela équivaut à une promesse unilatérale de contrat de travail et aucune rétractation n’est possible, sauf en cas de motif légitime.
Par conséquent, les employeurs auront tout intérêt à modifier leurs modèles types en intégrant une phrase telle que « nous souhaiterions vous proposer un contrat de travail qui reprendrait les éléments essentiels suivants, si vous en êtes d’accord » (ndlr : il s’agit d’une simple proposition sans autre valeur).
En effet , le critère de distinction semble être le suivant : soit l’employeur propose la signature d’un contrat de travail dont il développe les éléments essentiels (simple offre de contrat permettant rétractation), soit l’employeur propose un poste dont il développe les éléments essentiels (promesse unilatérale de contrat de travail ne permettant pas rétractation sauf motif légitime).
Bien évidemment, à ce jour, il s’agit d’un revirement unique, même si la Cour de Cassation a jugé de la même manière deux espèces identiques (Cass, soc, 21 septembre 2017 n°16-20.104 et 16-20.103 non publié). Cependant, celui-ci est particulièrement motivé et justifié. Il s’inscrit de plus dans la philosophie générale de réforme du droit du travail… et il est bien évident que cette jurisprudence de la plus haute juridiction française sera intégrée dans toutes les plaidoiries des avocats pro-employeurs confrontés à ce contentieux…
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