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Le travail face à l’entreprise

Le travail face à l’entreprise
Le 09 octobre 2018
Le monde du travail est de plus en plus régit par des considérations économiques notamment par le développement d’un mouvement de financiarisation de l’économie. Quèsaco ? L’équipe Droit Travail France vous explique.

Un constat de plus en plus effrayant : l’argent avant les gens


Depuis le début du XXème siècle, on observe une transformation du monde tel qu’il était connu auparavant.

En effet, avant, l’utilisation de la finance n’était qu’un outil au service du travail et c’est le travail qui créait de la valeur. Petit à petit, avec les évolutions économiques et industrielles, la notion de travail est devenu esclave du résultat financier qui obnubile les actionnaires.


Ce phénomène est appelé « financiarisation des entreprises » puisque celles-ci délaissent peu à peu toutes leurs fonctions sociales pour se centraliser sur les résultats réguliers et leur augmentation constantes.

Par là, la transformation de l’entreprise induit un autre changement important : la transformation de l’employeur. En effet, en droit du travail, l’entreprise est un ensemble de personnes qui perçoivent une rémunération suite à l’exécution d’une activité sous l’autorité d’un employeur commun. Cet employeur est donc le socle de l’entreprise puisqu’il est à la fois celui qui fournit un travail mais aussi celui qui gère les résultats. Ces deux notions ne semblent pas, sur le papier, incompatibles.

Cependant, avec cette financiarisation de l’entreprise, l’employeur met en avant sa casquette de chef d’entreprise avant celle de créateur d’emplois. Alors valoriser la rentabilité au détriment de la relation humaine, est-ce une fausse bonne idée ?


Quel va être le paysage professionnel de demain ? Les salariés seront ils de la simple main d’œuvre utilisé dans une entreprise économique ou alors seront ils au centre de l’entreprise sociale dont le lien aura été créé et entretenu par l’employeur ?


Le débat ne pourrait pas être plus actuel. En effet, en mars 2018, un rapport intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » a été rédigé par Nicole Notat et Jean Dominique Senard, et présenté aux Ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice et de l’économie et des Finances du Travail. Ce rapport fait un constat clair : « la financiarisation (pèse) sur la vie de l’entreprise ».


De surcroît, de nombreux comportements font état de l’impératif économique qui gouverne les entreprises : pression au travail, salariés poussés à la surproductivité, suivi des performances, turn over impressionnant


Dans le cadre du rapport Sénard-Nota, Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France, a été auditionné.

Selon lui, il faut à tout prix « sortir de la simple logique de profit des entreprises » pour redonner une place au travail dans le droit du travail. Il considère à juste titre que l’entreprise doit se focaliser sur le but qui est l’oeuvre commune et non pas sur le résultat qui est l’argent qu’on en retire.

Sa réflexion se base sur l’idée que la recherche à tout prix du résultat financier par les entreprises détruit la collectivité de travail, donc les relations de travail et les relations au travail.


Toujours dans cette réflexion, le Bureau International du Travail a émis un rapport sur l’impact de la financiarisation de l’économie sur les entreprises et plus particulièrement sur les relations de travail rédigé par Olivier Favereau, professeur émérite de sciences économiques à l’Université Paris Ouest Nanterres La Défense.


Il en ressort que l’exigence de rentabilité prend plus d’importance que les relations de travail. D’après ce rapport, on fait le sombre constat d’une entreprise financiarisée qui a été déformée à son socle qui est la relation contractuelle de travail avec le salarié.

Et si on redonnait son importance au lien social ?


Selon Marx, « le travail constitue le fondement de la richesse capitaliste ». L’idée est claire, sans les gens, pas d’argent. En effet, de la qualité des rapports sociaux sera tiré de meilleurs rapports de production capitaliste.


Une entreprise peut-elle associer volonté sociale et besoin économique ? C’est en effet possible, à condition de le vouloir. Une entreprise sociale est une organisation qui va rechercher le bénéfice social ou environnemental à la fois dans sa raison d’être et dans ses résultats.

L’entreprise sociale est un concept qui date du 19ème en Europe où on été créées les coopératives et les mutuelles. Ces entreprises ne veulent pas remettre en cause l’économie de marché mais elles mettent en avant le fait qu’il faille mettre un peu d’humain dans tout ça.


Contrairement à ce qui est perçu, ces entreprises sociales, souvent qualifiées de « solidaires », ne sont pas hors de la compétitivité. Elles sont de plus en plus performantes, notamment sur des domaines que les entreprises à but lucratifs ont choisi de délaisser.


Ces entreprises sociales permettent de ré-humaniser le marché en conciliant intelligemment les besoins économiques de l’entreprise, dont la recherche de résultats financiers, et lien social initié par l’employeur.

Quel est l’intérêt pour une entreprise de mettre en avant la protection de ce lien social ? Le salarié qui se sent considéré à la fois au sein de l’entreprise, mais aussi en tant qu’être humain et pas seulement comme un outil de production, va automatiquement nourrir une motivation à travailler autre que le simple salaire mensuel. Il aura envie d’être utile, d’aider, il se sentira satisfait au travail. N’est ce pas au final le but que de venir contrer la l’étymologie de tripalium ?


En 2018, de plus en plus d’entreprises, sans toujours se définir comme solidaires, tentent d’adapter la gestion interne du lien social en développant des techniques de soft management. Le but est de susciter à nouveau l’adhésion du salarié au lieu de le contraindre. Il y a une revalorisation de l’individu dans l’entreprise, comme pièce majeure du puzzle.

Réinventer le management suffit-il à surcontrer le seul intérêt économique de l’employeur ?

Certains poussent leur pensée sur le lien social. En effet, selon Michel Godet, professeur au conservatoire national des arts et métiers, « la valeur du travail tient d’abord au lien social qu’il génère ». Dans le même ordre d’idée, Laurent Gille, enseignant chercheur à Télécom ParisTech précise que « on produit d’abord du lien social et dans la production matérielle l’objet porte la personne qui l’émet. Le produit est un langage. On achète les choses pour parler aux autres. Les hommes sont en comptes ouverts pour créer du lien social ».


Créer une entreprise c’est avant tout gérer un centre de coût, il ne faut pas l’oublier non plus.

In fine, la question qui inquiète, car elle n’a pas de réponse précise pour l’instant: quel avenir pour le droit du travail?

Sarah ZEROUALI